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20 avril 2011 | Tunisie

Rached Ghannouchi loue Erbakan, son « grand frère » en islamisme.

Au moment où Alain Juppé affirme donner du crédit aux déclarations de bonnes intentions démocratiques des islamistes, le chef des Frères Musulmans tunisiens fait l’éloge de Necmettin Erbakan mort récemment.

L’édition du 3 mars du quotidien turc Hurriyet est très instructive, on y apprend les déclarations de Rached Ghannouchi -dirigeant du parti islamiste tunisien Ennhada– lors de sa présence à l’enterrement de Necmettin Erbakan, père de l’islamisme turc contemporain et ami proche :

« Décrivant Erbakan comme « non seulement un ami, mais un grand frère«  Ghannouchi a dit avoir appris la mort du politicien turc alors qu’il était à Tunis.

Ghannouchi relie Erbakan aux ancêtres fondateurs et intellectuels des Frères musulmans. « Dans le monde arabe de ma génération, quand [les gens] parlaient du Mouvement islamique (note: autre nom des Frères Musulmans), ils évoquaient Erbakan. Il en parlaient comme de Hassan al-Banna et Sayyid Qutb, a-t-il dit-il. »

Dans mon enquête Ces Maires qui courtisent l’islamisme, j’ai consacré un long chapitre à l’islamisme turc étant donné que le Millî Görüs contrôle de plus en plus de mosquées sur notre territoire (la liste impressionante des villes concernées est révélée dans l’ouvrage).Voici un extrait tiré des pages 196 à 198 :

« Le Millî Görüs est le principal mouvement islamique encadrant la diaspora, et également celui qui construit des grandes mosquées, avec le soutien affiché des élus. Il est donc indispensable de faire sa connaissance afin de comprendre pourquoi, par son essence islamiste, il est un danger social pour l’Europe.

Tout est parti de la volonté d’un seul homme, Necmettin Erbakan, principal acteur politique de l’islamisme turc de ces 40 dernières années. Sa première tentative de prendre le pouvoir par la voie démocratique, date de la création en 1970 de son Parti de l’Ordre national. Parti perçu comme la branche politique de la confrérie islamique Nakshibandi, ses excès programmatiques axés sur l’anti-maçonnisme, l’anti-occidentalisme, la critique de la laïcité, ne tardèrent pas à le marginaliser.

Voulant remplacer ouvertement dans les écoles publiques certains enseignements d’Emile Durkheim au profit de penseurs islamiques connus pour leur rejet des « innovations blâmables », comme al-Ghazali (1058-1111), ou Ahmed Shirindi (1564–1624), référence de la confrérie islamique Nakshibandi, il provoqua sérieusement l’inquiétude des autorités. D’autant qu’une part grossissante d’une autre confrérie de masse, les Nurcu, commença à rejoindre ses rangs…Le coup d’état de 1971, effectuée par l’armée gardienne de la laïcité (dépositaire de l’héritage du premier président Mustafa Kemal, militaire ayant aboli le califat en 1924) régla le sort de la formation islamiste, et pour Erbakan marqua le début de son exil en Suisse et en Allemagne pour nombre de ses collaborateurs, pays à partir desquels il va fomenter le retour de l’islamisme à vocation démocratique.

C’est le Parti du salut national (MSP) qui succèdera au Parti de l’ordre national, avec un Necmettin Erbakan restant dans l’ombre, recyclant les cadres du parti dissous, qui reprendra ses thèmes favoris. Il n’eut qu’à attendre 1974 pour participer à un gouvernement de coalition au terme d’un succès dans les urnes, qui permettra au tout jeune parti de briguer des portefeuilles ministériels de premier ordre (Intérieur, Commerce, Justice et industrie…) et d’installer Erbakan au poste de Premier ministre. Durant cette période, son influence permet de recruter 5000 imams et muezzin à la direction des Affaires religieuse, pour la seule année 1974.

La parenthèse européenne de Necmettin Erbakan nous intéresse grandement, car c’est lui qui posa les jalons de la diffusion de l’islamisme turc, d’abord en Allemagne où naquit le Millî Görüs, littéralement Idéologie nationale, formant une base arrière stable indispensable tout au long d’un vingtième siècle rythmé par les coups d’Etat successifs et les persécutions à l’encontre des différentes formations islamistes qu’il contrôla. L’Europe allait donner, par ses généreux droits de l’homme et sa névrotique quête de « diversité », un cadre de liberté idéal afin que le mouvement se structure via ses journaux, radios et évidemment mosquées qui ne tarderont pas à pousser.

Ironie de l’histoire, lors de sa participation au pouvoir en tant que Premier ministre de 1996 à 1997 (le 28 février 1997 le Conseil de sécurité dépose Erbakan pour cause d’atteinte à la laïcité), il exprima son désaccord total à l’entrée de son pays dans l’Union Européenne, fustigeant ce « club Chrétien » pourtant si hospitalier pour ses partisans. Une des affiches du Millî Görüs représente son chef, sabre au clair, faisant face à l’époque à tous les dirigeants européens, de Jacques Chirac à Gerhard Schröder. » Lire la suite dans l’ouvrage Ces Maires qui courtisent l’islamisme chapitre L’islamisme turc et les élus, pages 195 à 213