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3 août 2016 | Actualités

« Le carburant de ce jihad global est la lutte obsessionnelle contre l’« islamophobie » (Alexandre del Valle)

AdelVALLE

Valeurs Actuelles : Avec les attentats de Nice, assiste-t-on à une déprofessionnalisation du terrorisme ?

Alexandre del Valle : Je suis d’accord si l’on regarde le profil du tunisien Mohamed Lahouji Bouhlel, son passé de délinquant et ses déboires conjugaux et psychologiques. Mais il ne s’agit pas pour autant d’un terrorisme nihiliste qui n’aurait « rien à voir avec l’islam » ou avec une organisation jihadiste. Ces terroristes « auto-radicalisés » sont en fait formés par des salafistes en « e-learning », ils sont radicalisés par l’importation des conflits du Proche Orient et la sensibilisation des images de musulmans tués par des armées occidentales, et sont rendus paranoïaques-violents par un mimétisme viral légitimé par la diabolisation de l’« islamophobie » et la réalisation narcissique...

On a l’impression que le théâtre irakien ou syrien n’ont plus beaucoup d’influence ?

Oui et non, car tout être humain a besoin de justifier son acte, même barbare. C’est la le génie du jihadisme 3ème génération qui, à partir d’un agenda géopolitique précis (jihad contre Assad et les Occidentaux), recrute à distance des psychopathes en sommeil grâce à une hyper communication fondée sur la haine anti-occidentale relayée par nos médias avides de sensation morbides. Toutefois, ce terrorisme 3.0 a pour but de faire plier les gouvernements « mécréants » dans le cadre d’un totalitarisme salafiste apocalyptique qui fonctionne comme une secte planétaire. Dans Comprendre le chaos syrien, nous montrons avec Randa Kassis que le carburant de ce jihad global est la lutte obsessionnelle contre l’« islamophobie » occidentale dont se font l’écho nos élites bien pensantes. Même si il n’y a plus de liens pyramidaux entre ces terroristes radicalisés sur le Web et les chefs jihadistes syriens ou autres, on ne peut nier l’influence mobilisatrice des appels au jihad lancés sur le web par des idéologues d’Al-Qaïda ou de Da’ech, comme Abou Bakr Naji, auteur du « Management de la barbarie », ou Abou Moussab Al-Suri, auteur de « L’Appel à la résistance islamique mondiale », qui invitent tout musulman à tuer de n’importe quelle manière tout mécréant occidental et en tous lieux. Il va falloir être très inventif pour combattre cet ennemi transverse et asymétrique.

Nos élites politiques qui ont laissé s’exprimer des jihadistes dans nos démocraties ont-ils enfin pris la mesure de la menace ?

Il ont compris la démocratisation du néo-terrorisme « de proximité », très difficile à démanteler, mais ils ne combattent pas du tout ses deux carburants majeurs qu’aurait combattu Karl Popper: la banalisation de la haine anti-occidentale dans nos banlieues, qualifiée par Malek Boutih dans son rapport comme « nazifiante », puis la source juridique sunnite-orthodoxe du jihadisme dont se réclame Da’ech, or comment délégitimer cette violence légale si elle est enseignée dans la charià, dans des mosquées d’Europe, et si ses promoteurs sont formés en Arabie saoudite gardiens des lieux saints musulmans ?

Pour faire face à ce nouveau type de terrorisme réticulaire, l’opération Sentinelle est elle pertinente ?

Elle est selon moi peu dissuasive pour les terroristes. Elle sert à rassurer les populations et à faire croire que le pouvoir agit… Des militaires armées de Famas en public, donc faciles à prendre pour cible, n’empêchent pas de déjouer des attentats. L’urgence est au renseignement intérieur de proximité, aux filatures, exploitations d’écoutes, etc, or pour suivre efficacement tous les fichés S, il faut multiplier par 6 ou 10 le nombre d’hommes… La guerre contre le jihad globalisé ne fait que commencer. La haine proto-jihadiste couve depuis des décennies et nos politiques n’ont rien fait pour promouvoir ce que j’appelle un « patriotisme intégrateur »

Propos recueillis par Yves Roucaute