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Egypte : des universitaires musulmans rééditent un livre préconisant la destruction des églises

Dimanche des Rameaux 2017 à Tanta au nord du Caire. Deux attentats contre des églises fait 44 morts.


L’émission «cri et espoir» du canal chrétien csat.tv a diffusé un dialogue de Mme Nadia Youssef mené par téléphone avec le conseiller du gouvernement Ahmed Maher goo.gl/3mG3de

Mme Nadia Youssef lui a demandé d’exprimer son opinion à propos du livre «L’établissement de la preuve éclatante pour la démolition des églises d’Égypte et du Caire», dont l’auteur est Ahmed Abdel Moneim Al-Damanhori, grand cheikh de l’Azhar, décédé en 1192 AH (1778 AD) (à partir de la 45e minute), et dont la couverture a été présentée à l’écran.

Le conseiller a répondu que l’auteur du livre est «un salafiste et non pas un azharite». Mme Nadia Youssef lui répéta le nom de l’auteur et son titre, grand cheikh de l’Azhar, mais Ahmed Maher affirma à nouveau que l’auteur du livre est «un salafiste et non pas un azharite».

Mme Nadia Youssef a rappelé que le livre est toujours sur le marché, et Ahmed Maher a répondu que la police de sûreté devrait faire son travail, que l’État devait le confisquer et examiner qui a accordé la licence pour le publier.

Mme Nadia Youssef a dit alors pour la troisième fois que la couverture mentionne le nom du grand cheikh de l’Azhar comme auteur, mais Ahmed Maher rétorqua de façon catégorique qu’il «exonère l’Azhar de ce livre, que ce soit dans le passé comme dans le présent», en ajoutant que «la police de sûreté et les services de renseignement doivent retirer ce livre et enquêter sur son origine». La question doit être traitée avec fermeté, ce livre étant, selon lui, contraire au texte du Coran, qui dit: «Si Dieu ne repoussait pas les humains les uns par les autres, auraient été démolis des ermitages, des églises, des lieux de prière, et des sanctuaires, où le nom de Dieu est beaucoup rappelé. Dieu secourra qui le secourt» (22:40). «Nous devons collaborer pour que les synagogues des juifs, les églises des chrétiens et les mosquées les musulmans restent protégées. Les trois doivent rester protégées. Et c’est bien cela l’islam.»

Le livre est bel et bien écrit par un ancien grand cheikh de l’Azhar

Face à l’insistance de Mme Nadia Youssef sur le fait que le livre a été écrit par un ancien grand cheikh de l’Azhar, et la négation d’Ahmed Maher affirmant que l’auteur du livre est «un salafiste et non pas un azharite», nous avons estimé nécessaire d’enquêter sur l’auteur de ce livre et son contenu.

Le livre, dont la couverture a été présentée à l’écran par Mme Nadia Youssef (à partir de la 45e minute) porte la mention suivante:
«L’établissement de la preuve éclatante pour la démolition des églises d’Égypte et du Caire»

اقامة الحجة الباهرة على هدم كنائس مصر والقاهرة

Il est écrit par Ahmed Abdel Moneim Al-Damanhori, grand cheikh de l’Azhar, décédé en 1192 AH (1778 AD). Le titre de ce livre est mentionné dans la biographie de l’auteur sur Wikipedia goo.gl/VTiDuv. Il a occupé la fonction de grand cheikh de l’Azhar de 1182 à 1190 AH (1768 à 1776 AD).

Il est publié par Dar Al-Farouk, Mansoura, en 2012 , 215 pages. Il est aussi fait mention de ce qui suit sur la couverture:

Lu, commenté et comparé à l’original par Muhammad Ibn Saleh Al-Najdi Al-Athari, chercheur en droit musulman et membre de la commission de fatwa et des recherches scientifique dans la Fondation de la réforme en Égypte, sous la supervision du cheikh Ahmed Ibn Abdul Rahman Al-Naqib. Tous les deux sont des salafistes. Le superviseur est professeur à la Faculté d’éducation, de l’Université de Mansoura goo.gl/IBWPSm

Le livre porte le numéro de dépôt 1883-2012 auprès de la Bibliothèque nationale égyptienne..
Il peut être téléchargé de plusieurs sites Internet, dont goo.gl/8dEqPW.

Muhammad Ibn Saleh Al-Najdi Al-Athari a présenté une conférence sur ce livre en trois épisodes dans une mosquée de Sinbillawain dont le titre est «L’établissement de la preuve éclatante pour la démolition des églises d’Égypte et du Caire», conférence dans laquelle il a appuyé le contenu de ce livre et s’est attaqué aux coptes:

Épisode I. youtube.com/watch?v=oC4Xdq_6lpc
Épisode II. youtube.com/watch?v=Wv_1xSD-WKw
Épisode III. youtube.com/watch?v=oUkIjI1Tllk

Le conférencier a expliqué la biographie de l’auteur, soulignant qu’il s’agit de l’ancien grand cheikh de l’Azhar Ahmed Abdel Moneim Al-Damanhori.

Autre édition de l’ouvrage de ce même grand cheikh de l’Azhar

Il existe une autre édition de ce livre publiée par la maison d’édition Maktabat Al-Nour, Mansoura, en 1434 AH = 2013 AD, 138 pages. Il est fait mention de ce qui suit sur la couverture:

«L’établissement de la preuve éclatante pour la démolition des églises d’Égypte et du Caire»

اقامة الحجة الباهرة على هدم كنائس مصر والقاهرة

Il est écrit par Ahmed Abdel Moneim Al-Damanhori, grand cheikh de l’Azhar, décédé en 1192 AH (1778 AD)
Il a été révisé par Ahmed Al-Aqour (un salafiste), enseignant dans le département de rhétorique et de critique et littérature comparée à l’Université de Fayoum goo.gl/YQdUrA

Le livre porte le numéro de dépôt 7181-2013 auprès de la Bibliothèque nationale égyptienne..
Il peut être téléchargé de plusieurs sites Internet, dont goo.gl/9xLhCK.

On peut donc déduire que le livre «L’établissement de la preuve éclatante pour la démolition des églises d’Égypte et du Caire» est bien écrit par Ahmed Abdel Moneim Al-Damanhori, ancien grand cheikh de l’Azhar. Il est sorti auprès de deux maisons d’édition, en 2012 et 2013, à Mansoura, et il fait l’objet de dépôt légal auprès de la Bibliothèque nationale égyptienne.

Articles égyptiens critiquant cet ouvrage

Article de Shafiq Taher

Shafiq Taher a écrit un article à ce sujet (dostor.org/1334979) intitulé «Le dixième Imam incite à la démolition des églises». Il s’agit d’une référence à l’auteur du livre susmentionné. L’article présente brièvement la position de l’auteur:

«Le grand cheikh Al-Damanhori partage la Terre en quatre sections:

  • Terre de l’Islam pure, dont la péninsule arabique: il y est strictement interdit de construire des églises, des lieux de culte ou des couvents.
  • Terres conquises par la force, comme l’Égypte et le Maghreb, l’Irak et d’autres: il y est strictement interdit de construire de nouvelles églises, et celles qui existent déjà doivent être détruites.
  • Terres conquises par un traité de paix, et dont les habitants peuvent y rester contre paiement de tribut (jizya) et l’impôt foncier: il y est permis de construire des églises si cela figure dans le traité de paix.
  • Villes construites par les musulmans après la conquête comme le Caire, Bagdad, Wasit, Bassora, etc.: il y est strictement interdit de construire des églises parce qu’il s’agit de villes musulmanes qui étaient auparavant des déserts ou des ruines, et elles ont été construites par les musulmans.

Dans ces quatre catégories susmentionnées, les mécréants (Al-kuffar: les dhimmis) ne peuvent manifester extérieurement leur religion ou leurs prières.»

L’article ajoute:

«Je ne suis pas partisan de la censure et de l’interdiction. Mais un tel livre négligé dans les sous-sols des vieilles bibliothèques moisies est sorti tout à coup et réimprimé rapidement dans une librairie de Mansoura en 2013 suite aux événements de la démolition de l’église d’Atfeeh et l’interdiction de la construction de l’église d’Edfou à Assouan. (…) Puis le cheik salafiste appelé Abu Hafs Ibn-al-Arabi Al-Athari en fournit une explication, diffusée sur youtube, dans une mosquée Sinbillawain. (…) Je ne pense pas que tout cela soit pure coïncidence, c’est une chose planifiée par des groupes salafistes.

J’ai lu deux fois le livre, qui porte comme titre «L’établissement de la preuve éclatante pour la démolition des églises d’Égypte et du Caire», et j’ai entendu toute l’explication, et n’y ai trouvé qu’incitation à la démolition des églises et incrimination des autorisations de construction de nouvelles églises en Égypte et au Caire, qualifiées de terres conquises par la force. Et comme le Caire a été construite par les musulmans, la construction d’églises doit y être interdite, et celles qui y existent doivent être démolies. Une question revient avec insistance dans mon esprit en lisant le livre du dixième Imam de l’Azhar Ahmed ben Abdel – Moneim Ibn Siam Ibn Youssef Al-Damanhori: Qu’est-ce que Daesh a fait et qui ne figure pas dans les livres de droit musulman, et reste enseigné aux étudiants de l’Azhar aujourd’hui? Qu’est-ce que Daesh a fait et qui n’a pas été écrit par le grand cheikh susmentionné de l’Azhar?!»

Article de Rabab Kamal

Rabab Kamil a écrit un article (goo.gl/oVW1gm) portant le titre du livre «L’établissement de la preuve éclatante pour la démolition des églises d’Égypte et du Caire». Elle critique ceux qui prétendent que les actes terroristes contre les églises sont des actes individuels et isolés. Elle signale que l’auteur du livre en question n’est pas un cheikh salafiste, mais bien le grand cheikh Ahmed Ibn Abdul Menem Ibn Yousef Ibn Siyam Al-Damanhori, connu sous le nom du grand cheikh Ahmed Al-Damanhori, autrefois grand cheikh de l’Azhar.

Rabab Kamal indique que l’histoire du manuscrit de ce livre a commencé quand certains chrétiens ont entrepris la construction d’une nouvelle église au Caire. Les musulmans se sont fâchés et ont demandé une fatwa du grand cheikh sur la construction et la rénovation des églises. Le grand cheikh Al-Damanhori a répondu que cela est interdit selon les quatre écoles (Hanafite, Shafi’ite, Malikite et Hanbalite), ajoutant qu’il est même interdit de réparer les édifices détruits, même si la destruction a eu lieu illégalement. Certains cheikhs salafistes se réfèrent à cette fatwa pour soutenir leurs interprétations sur la nécessité de démolir les églises, ou au moins d’en empêcher la construction et la restauration.

Parmi les partisans de ce manuscrit: Ahmed Abdel-Rahman Al-Naqib, un cheik salafiste et à la fois professeur à la Faculté d’éducation de l’Université de Mansoura et titulaire d’un doctorat en études islamiques. Rabab Kamal commente:

«Oui, nous avons un professeur universitaire dans une université publique égyptienne qui parle librement de la démolition des églises en Égypte sans être poursuivi par les tribunaux pour incitation à la violence contre les lieux de culte prévue par les articles 160 et 161 du Code pénal, et sans être questionné en vertu de la loi sur la diffamation des religions et l’incitation par la parole définie par l’article 98 de cette même loi. Et la raison est évidente: il utilise des sources islamiques pour diffamer. Devrait-il être jugé par les tribunaux étatiques, ou faut-il juger ses sources islamiques et religieuses?» Elle signale en outre qu’Ahmed Al-Naqib a écrit l’introduction de ce manuscrit publié en 2012 dans un livre portant le titre du manuscrit original et publié par la maison d’édition Dar Al-Farouk, et que le livre a reçu le numéro de dépôt légal 1883-2012 de la Bibliothèque nationale égyptienne sans la moindre objection”.

Rabab Kamal signale que le discours officiel actuel de l’Azhar comprend des fatwas permettant la construction d’églises, pour différentes raisons, dont probablement l’influence du discours politique sur l’Azhar, basé notamment sur le slogan de l’unité nationale. On ne doit pas non plus oublier que l’Azhar est une institution religieuse étatique, et pour cette raison elle ne peut être en contradiction avec le discours du gouvernement lui-même, en particulier dans le cadre d’un problème aussi épineux. On ne doit pas non plus perdre de vue la fatwa de l’actuel grand cheikh de l’Azhar Ahmed Al-Tayeb, qui a déclaré en août 2014 qu’il est licite de construire des églises, ceci toutefois à condition que la construction ne nuise pas à la sécurité nationale, comme si la construction des églises nuit à l’avenir du pays et non le terrorisme, la pauvreté, l’ignorance et l’intolérance? Nous ne pouvons pas non plus oublier la Fatwa égyptienne d’octobre 2011 qui permet une telle construction si elle n’est pas incompatibles avec les lois de l’État. Ce qui impose l’établissement d’une loi unifiée relative aux lieux de culte, et non pas une loi pour construire des seules églises.»

En même temps, Rabab Kamal signale une autre fatwa contradictoire publiée en 1997, lorsqu’on a interrogé le cheikh Attia Saqr, précédent chef du Département de la fatwa d’Al-Azhar, à propos de la construction des églises dans les pays des musulmans (et la journaliste marque son opposition à ce que l’Égypte soit appelée pays des musulmans, car l’Egypte est le pays de tous les Égyptiens). Le cheikh Attia Saqr cita alors dans sa fatwa un récit rapporté par Ibn-Adiy de ‘Umar, du Prophète Mahomet: «Aucune église ne devrait être construire dans l’Islam.»

Rabab Kamal se demande:

«Pourquoi Al-Azhar ne critique pas les sources du manuscrit en question et ses sources? Pourquoi ne fait-il pas face au vrai problème au lieu de recourir à des fatwas complaisantes et de se soumettre au message officiel étatique?» et «Pourquoi l’Azhar ne confisque-il pas ce livre alors qu’il a obtenu le droit de saisie judiciaire de la part du ministère de la Justice en 2004? L’Azhar a fait usage de ce droit pour confisquer les écrits des romanciers et des penseurs jugés attentatoires à l’identité islamique, mais il ne trouve pas attentatoire un livre légitimant la démolition des églises bien qu’il soit en contradiction avec les fatwas officielles de l’Azhar au cours de ces dernières années.»

Dr Sami Aldeeb, Professeur des universités
Directeur du Centre de droit arabe et musulman
Traducteur du Coran en français et en anglais, et auteur de nombreux ouvrages

Couverture des deux éditions du livre «L’établissement de la preuve éclatante pour la démolition des églises d’Égypte et du Caire»

 goo.gl/9xLhCK (republié en 2013) goo.gl/8dEqPW (republié en 2012)