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12 juin 2018 | Comprendre l'islam

Doctrine : le « grand jihâd » spirituel n’exclut nullement le « petit jihâd » guerrier (Ghazali, Ibn Taymiyya)

Mise au point doctrinale alors que beaucoup de polémistes prennent la défense du rappeur Médine, qui lui connait sa doctrine sunnite.

Abû Hâmid Al Ghazali (1058-1111) est connu en occident sous le nom de Algazel. A Paris c’est son nom qu’a choisi l’Institut de théologie de la Grande Mosquée de Paris…Ses livres sont parmi les meilleures ventes dans les rayons Islam des grandes librairies française. Dans son livre La mesure des Actes (Albouraq, 2005) il affirme que la distinction entre petit et grand jihâd aurait été définie par Mahomet et ses compagnons, donc sacralisée :

« Combattre effectivement est aussi malaisé que de reprendre le souffle. Seul le connaîtra celui qui cherche à extirper l’appétit de son âme. C’est pourquoi les compagnons ont dit « nous revenons du « petit jihâd » pour aborder le « grand jihâd » ils ont donné à la lutte à l’épée contre les mécréants le nom de « petit jihâd ». C’est ainsi que quand on a demandé au prophète « quel est le meilleur des jihâd Ô envoyé de Dieu » il a répondu « Le combat contre tes passions».

Le petit jihâd est un préalable à l’accomplissement d’une société pacifiée et vouée sans entraves à l’islam, où il n’existe pas de groupes d’individus gênant l’application de son programme. Le « grand jihâd », combat spirituel, ne peut se réaliser pleinement que dans une société favorable à l’islam. Ghazali, aussi surnommé l’ « argument de l’islam » ne dit pas autre chose dans son Livre du Repentir (éditions de la Ruche, 2003) :

« La cessation de l’inclination est due à la force de la certitude et à la sincérité de la lutte antérieure […] l’affirmation de celui qui estime cela n’atteint pas le mérite du combat spirituel puisqu’elle relève une incapacité à embrasser le sens plénier du mot jihâd (note de l’Obs-i: combat spirituel), car le but du jihâd (guerrier) n’est pas une fin en soi, il vise plutôt le fait de briser l’acharnement de l’ennemi pour qu’il ne t’entraîne pas vers ses désirs et s’il échoue dans sa tentative de t’entraîner ainsi, il ne peut plus t’empêcher d’emprunter la voie de la religion. »

Mais le hadith sur la distinction entre petit et grand jihâd ne fait pas partie des Authentiques (Sahîh), et est rejeté par ibn Taymiyya.

Très lu par les musulmans pratiquants et France, et référence des Frères Musulmans, le théologien Ibn Taymiyya rejette la fiabilité du hadith sur le petit jihâd (cité plus haut) dans son traité La distinction entre les alliés :

« Quant au hadith raconté par certains selon lequel le Prophète est supposé avoir dit au retour de la bataille de Tabouk (localité en territoire byzantin, 630) : « Nous revenons du djihâd mineur pour mener le djihad majeur »…c’est un faux hadith, qui n’a pas d’origine, et aucun de ceux qui connaissent les mots et actes du Prophète (pbsl) ne l’a transmis. Combattre les incroyants est la plus grande des causes. En fait, c’est la meilleure chose qu’une personne peut rechercher. Allah dit, Coran, 4:95 : « Ne sont pas égaux ceux des croyants qui restent chez eux-sauf ceux qui ont quelque infirmité- et ceux qui luttent corps et biens dans le sentier d’Allah. Allah donne à ceux qui luttent corps et biens un grade d’excellence sur ceux qui restent chez eux. Et à chacun Allah a promis la meilleure récompense , et Allah a mis les combattants au dessus des non-combattants, en leur accordant une rétribution immense. »

Un prédicateur écouté par Médine, venant régulièrement aux évènements de « Havre de Savoir » dont le rappeur est « ambassadeur », Hassan Iquioussen, n’a pas une vision exclusive du jihâd contre soi-même par rapport aux autres :

Lors d’une conférence du 14 janvier 2013 à la mosquée de Saint-Denis de La Réunion, filmée sur Dailymotion[1], ayant pour thème l’engagement des musulmans dans la société, Iquioussen fait le point sur les différents combats à mener.Il fait référence au théologien Ibn Qayyim Al-Jawziyyah (1292-1328) qui avait classifié les types de Jihâd dont l’effort armé physique :

« Préférez l´au-delà […] Vous ne savez pas que l´au-delà est meilleur. […] Si vous ne voulez pas vous engager, vous allez souffrir, sur terre et dans l´au-delà. […] Les vieillards s´engagent, vous entendez, les jeunes? […] L´obstacle numéro un c´est que nous préférons la vie d´ici-bas et tous ses plaisirs. […] Si vous préférez la dounia [ les biens du monde terrestre] à Dieu, au prophète et au Jihad fisabilillah [sur la voie de Dieu], à l´engagement, au sacrifice […] Alors si vous préférez tout cela […] Dieu ne guide pas vers le Paradis les pervers. […] Ceux qui préfèrent la dounia à Dieu, au prophète, et au Jihad ont quitté le chemin de la droiture.C´est ce que le Coran dit. […] Le sommet de l’islam c’est quoi ? c’est l’effort pour la religion [Jihâd] (…) l’imâm Ibn Qayyim explique ce qu’est le djihâd en islam il dit il y a 13 degrés, Il y a 13 niveaux de Jihad (…) le jihâd contre le nafs[soi-même] le jihâd contre le shirk [paganisme/idolâtrie/association de divinités] . Après, il y a le jihad contre le munkar[mauvaise action ; abominable ; qui provoque l’aversion], le jihad contre les hypocrites[2](…) et il [Ibn Qayyim] met au 13eme rang le Jihad armé contre l´ennemi extérieur.(…) la vie du musulman c’est un effort en permanence pour la promotion du bien, pour répandre sur terre la miséricorde et le combat contre l’injustice, le mal […]Le musulman doit être dans l´action pas dans la réaction. Si l’ennemi choisi le champ de bataille tu as perdu la bataille (…) Nous devons contrecarrer la stratégie du diable. »

Les 13 niveaux de Jihad font référence à la classification du juriste Ibn Qayyim Al-Jawziyyah (1292-1350), qui comprend le jihad armé. « le djihâd est de quatre sortes :« le djihâd contre ses propres passions (jihad an-nafs),le djihâd contre Satan (jihad ash-Shaytan), le jihâd contre les mécréants (jihad al-kuffar) et les hypocrites (al-Munafiqeen)et le djihâd contre les gens de l’injustice et de l’innovation (Jihad ahlu) ». Ce passage extrait de son livre Les Types du djihâd, est un grand classique du droit musulman, l’auteur ayant été l’élève de Ibn Taymiyya (1263-1328), un des juristes sunnite des plus apprécié encore à notre époque. Al-Jawziyya précisait bien que, si le combat contre les hypocrites devait se faire le plus souvent « avec la parole », en revanche, celui contre les mécréants s’appliquait « avec les mains ».

Observatoire de l’islamisation, 12 juin 2018.

[1]Conférence de Hassan Iquioussen sur l’engagement en islam, à Saint-Louis de La Réunion le 14 janvier 2013. Mis en ligne sur Dailymotion le 18 janvier 2013.

[2]L’hypocrisie (munafiqines) en islam qualifient selon le juriste Ibn Taymiyya dans son livre As-Sârim Al Masloûl, ceux qui se présentent comme musulmans mais qui ne sont pas observant des lois islamiques : « leur hypocrisie peut être connu à travers une parole qu’un homme croyant les entend prononcer, et le rapporte alors au prophète. Ils jurent alors qu’ils n’ont jamais dit ça ou alors des fois ils ne jurent pas. Et des fois cela apparaît lorsqu’ils retardent la prière ou le Jihâd, ou lorsque la Zakât est pénible pour eux, ou lorsqu’ils manifestent de la répulsion envers beaucoup de lois d’Allah. »