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1 juin 2019 | Mosquées existantes

Le climat sécuritaire se dégrade en Afghanistan à quatre mois des élections.

Bureau de représentation des Talibans à Doha, Qatar.

Décryptage de l’Obs-i :

Le 11 mai dernier, Mina Mengal, journaliste ancienne présentatrice du journal télévisé de la chaine pachtoune ToloTV, et conseillère au parlement, a été assassiné par balles. Son engagement pour l’insertion professionnelle des femmes est peut-être ce qui irritaient les deux tueurs à moto, dont l’identité n’a pas été établie. Au cours de ces seize derniers mois, dix-huit journalistes ont été tués en Afghanistan. Et d’autres attaques contre des organisations non gouvernementales ont eu lieu ces dernières semaines. L’ONG américaine Care a subi une attaque sanglante avec dix tués début mai. Les bureaux de Counterpart international ont été aussi visé par un commando suicide muni de vestes explosives mercredi 8 mai. Les forces de sécurité mettront six heures à venir à bout des djihadistes. Quatre civils et un policier tués, et vingt-quatre blessés. Le même jour, les bureaux du procureur de la ville étaient visés. Les talibans ont rapidement revendiqué l’attaque, confirmant que l’ONG américaine était bien la cible et mettant en cause, entre autres, l’un de ses programmes de promotion de la mixité homme-femme.

Les Talibans, qui contrôlent de larges parties du territoire, dont une zone à quatre-vingt kilomètres au sud-est de Kaboul et les environs des villes de Ghazni, Farah, Koundouz et Maymana, se sentent pousser des ailes. D’autant qu’ils participent à des négociations diplomatiques depuis 2015, avec pour base un bureau de représentation à Doha depuis 2013. Avec le soutien officieux du Pakistan, un soutient de poids. La vague d’attentat de 2018, même si la section locale de l’Etat islamique en a aussi sa part, a poussé le 28 février dernier le président d’union nationale Ashraf Ghani à offrir une « proposition de paix » aux Talibans. Cette offre inclue une proposition de se constituer en parti politique pour les islamistes, la libération de leurs prisonniers ainsi qu’une levée des sanctions internationales, soit des concessions de taille. La condition est en retour de respecter le droit des citoyens et notamment des femmes, et à reconnaître la constitution. C’est ainsi que les Talibans entrent en lice pour les élections du 20 septembre prochains, où se présente également l’islamiste pro turc Gubuldin Hekmatyar du Hezb-e Islami, le frère du commandant Massoud Ahmad Wali et d’anciens ministres et chefs de partis, 18 listes au total.

Les Talibans réintégrés dans le jeu diplomatique

Il faut dire que les Etats-Unis, via leur « représentant spécial » Zalmay Khalizad, d’origine afghane, ont beaucoup fait pour réintégrer les Talibans dans le jeu politique après les avoir combattus. Déjà, en 2013, l’ouverture de leur bureau à Doha était appuyée par les Etats-Unis, malgré l’avis contraire de Hamid Karzai. Le 14 février, les islamistes lancent une « lettre au peuple américain » en proposant de « résoudre la question afghane par un dialogue pacifique ». Zalmay Khalizad, en place depuis septembre 2018, a déjà organisé quatre séances de dialogue, à Doha en septembre et novembre 2018, puis aux Emirats-Arabes-Unis en décembre, et encore à Doha en janvier dernier. L’annonce du retrait américain de 7 000 hommes d’Afghanistan (soit la moitié des soldats) en décembre a dû mettre de l’huile dans les rouages car la rencontre de janvier 2019 a débouché après six jours de négociations sur « une esquisse de cadre » : les Talibans se félicitent des avancées mais campe sur leur position d’un désengagement militaire total des américains. Ils font miroiter qu’ils veilleront à ce que le pays ne soit pas « une plateforme pour les individus ou les groupes terroristes internationaux ». Autre effort des américains, leur demande au Pakistan de libérer le mollah Abdoul Ghani Baradar en octobre 2018, cofondateur des talibans, qui rejoint aussitôt Doha pour reprendre la tête de la commission politique. Zalmay Khalizad confirme après une cinquième rencontre en février dernier que les discussions ont été « solides et productives » sur le calendrier du retrait américain. En mars, les négociations se terminent et le gouvernement officiel de Kaboul fulmine de ne pas avoir été associé aux négocations qui portaient aussi sur un éventuel cessez le feu et un abandon du terrorisme. La dernière vague de mai tend à démontrer que les talibans ne sont pas encore prêts à abandonner la terreur.

Mais la Russie ne veut pas perdre non plus la main, et a organisé deux rencontres ces derniers mois avec le chef du bureau qatarien des Talibans, Sher Mohammad Abbas Stanikzai, qui en profita pour critiquer durement le projet de constitution afghane.

Toujours est-il que les observateurs afghans s’attendent à voir les Talibans associés de force par les Etats-Unis à un gouvernement transitoire avant les élections pour éviter un bain de sang pendant leur déroulement. Sentant sa position fragilisée, le président Ashraf Ghani a annoncé en février une grande jirga, instance inspirée des consultations traditionnelles de la société afghane, avec des milliers de participants incluant notables, femmes et jeunes. L’idée est de définir les lignes rouges pour une éventuelle réintégration des talibans, notamment les points constitutionnels sur les droits des citoyens.

Ainsi, l’extrémisme des Talibans, non amendé, n’empêche pas les Etats-Unis qui leur faisait jadis la guerre de vouloir les inclure de force dans le jeu politique afghan. Les autres composantes de la société afghane, largement majoritaires, subissent ce retour des islamistes inimaginable à la fin des années 2000. Décidément, bien malins sont ceux qui sauront écrire l’histoire future de l’Afghanistan.