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16 octobre 2019 | Actualités, Comprendre l'islam

Débat islam-islamisme : la position de Mohamed Sifaoui n’est pas tenable

Une dispute a eu lieu le lundi 14 octobre sur CNews entre les journalistes Eric Zemmour et Mohamed Sifaoui sur la différence de nature supposée entre islam et islamisme. Pour Sifaoui les deux termes n’ont rien à voir et les rapprocher serait un amalgame d’extrême droite. La différenciation est pourtant très récente, c’est l’universitaire Bruno Etienne dans son livre L’islamisme radical en 1989 qui le premier l’a défini. Hors, jusqu’à présent l’islamisme était la religion des musulmans. Lisons l’Encyclopédie Larousse de 1933 :

ISLAMITE : [iss-la] n. Partisan de l’islamisme ; mahométan : un, une ISLAMITE (Vx.). 

Dans mon ouvrage L’islamisation de la France paru en 2006 j’écrivais :

« La différenciation cloisonnant islam et islamisme permet de purifier l’islam de tous ses préceptes liberticides et belliqueux. L’islamisme devient un refuge pratique, sorte de station d’épuration, paratonnerre dédouanant l’islam des entraves aux droits de l’homme repérées dans ses pratiques. Tous les points négatifs du mahométisme viennent s’évacuer dans le terme islamisme qui fait office de chambre sémantique de décontamination, conservant la virginité morale supposée de l’islam. Pratique et facile. »

La position de Mohamed Sifaoui est rassurante mais intenable, car comment ne pas qualifier l’université islamique d’Al-Azhar en Egypte d’islamique ? Pourtant, les positions qui y sont défendues ne sont guère modérées. Un colloque à l’Assemblée nationale sur l’islamisme se tint le 26 novembre 2016 avec comme principal intervenant le général égyptien Ahmad Abou Maher, responsable de la lutte contre l’extrémisme religieux dans le gouvernement égyptien du président Abdel Fattah al-Sissi. Il pointa la responsabilité d’al-Azhar, la prestigieuse université islamique, ainsi que des programmes scolaires officiels. Il brandit deux ouvrages programmés dans les collèges-lycées, qui prescrivent la haine des chrétiens : marquer leurs maisons, exiger des vêtements distincts, l’interdiction de construire des églises, la peine de mort contre les apostats…

Dans une émission sur les fatwas datant du 12 septembre 2014, Mme Suad Saleh, Professeur en théologie à Al-Azhar, affirma que les musulmans qui capturent des femmes dans une guerre légitime contre leurs ennemis peuvent les posséder et en faire des esclaves sexuelles « En vue de leur humiliation », déclare Pr Saleh, « elles deviennent la propriété du commandant militaire, ou d’un musulman, et il peut avoir des relations sexuelles avec elles, tout comme il a des relations sexuelles avec ses épouses ». Le « Grand cheikh » actuel d’Al-Azhar Ahmed el Tayeb, a rappelé le bien fondé du meurtre des apostats en juin 2016 dans la législation islamique :

« On apprend dans la Loi islamique [al-fuqaha] et des imâms des quatre écoles juridiques que l’apostasie est considérée comme un crime et que l’apostat doit soit renoncer à son état, soit être tué », citant un hadith de Mahomet en renfort. Il en concluait que l’apostasie aujourd’hui est « une grande trahison qui doit être dénoncée et punie ».

Mais alors, où serait enseigné le véritable islam qui ne serait pas l’islamisme ? Au Maroc ? Un recueil de fatwas (2004 – 2012) publié par le Conseil Supérieur des Oulémas du Maroc, la plus haute institution islamique du pays, condamne à mort les ex musulmans. Le point de vue du Conseil, page 291, sur le châtiment à infliger aux apostats est explicite : « le musulman qui change de croyance mérite la peine de mort ». Islam ou islamisme ?

Maintenant, penchons-nous sur un penseur médiéval ultra radical qui est toujours la référence des institutions islamiques marocaines, algériennes, et aussi de la Grande mosquée de Paris que Mohamed Sifaoui n’oserait qualifier d’islamiste.

Ibn Abî Zayd (922-996), dit Al-Qayrawânî car il passa la majeure partie de sa vie à Kairouan, est un des piliers de l’école sunnite malékite, officielle en Algérie et au Maroc. Surnommé également « le petit Malik » car il est connu pour tenir la doctrine du fondateur de cette école Mâlik ibn Anas par voie de tradition orale de trois garants successifs, « ce qui donnait à son enseignement une valeur d’authenticité remarquable » précise son traducteur Léon Bercher (+) qui collabora avec Henri Pérès (+), professeur d’arabe et fondateur de la « Bibliothèque Arabe-Française » à Alger au début du XXème siècle.

L’Epître (risâla) de Qayrawânî, une sorte de condensé de doctrine destiné à vulgariser simplement le droit islamique, fut commandé par Sîdî Mahriz qui dirigeait une école islamique (Zâwiya) célèbre à Tunis, et est passé à la postérité comme étant un manuel incontournable pour les fidèles, notamment les plus jeunes, de par sa construction en petits chapitres thématiques de prescriptions limpides. Ce manuel comprend 4000 prescriptions juridiques (masaâla) et quatre cent hadith (propos de Mahomet rapportés par ses contemporains).

Le ministère des Affaires religieuses du Maroc rend compte que « Elle (la Risâla) est programmée dans les établissements de l’enseignement traditionnel et elle est hautement considérée par les oulémas » (source : habous.gov.ma).

Il est programmé comme « référence » par « Le guide de l’étudiant » de l’institut al-Ghazâli, école d’imâm de la Grande Mosquée de Paris. Nous l’avions trouvé à l’Institut du Monde Arabe. Plus généralement, étant aussi connu chez les musulmans que le catéchisme chez les catholiques, il se trouve dans toutes les librairies musulmanes.

On y lit que :

  « Si un homme commet l’acte de sodomie avec un mâle adulte consentant, les deux doivent être condamnés à mort, musulmans ou non. » ( chapitre 37, des prescriptions relatives aux délits de sang et aux peines légales)

Concernant le jîhâd voici la photo du chapitre 30, page 85, issu de l’exemplaire de l’Institut du Monde Arabe édité par l’Office des Publications Universitaires, Alger (code bibliothèque 244.221 IBN A).

Si les « infidèles » refusent l’ « invitation » (le fameux appel) à embrasser l’islam, ou le statut de dhimmi, ils doivent être combattus par les armes :

Mais alors, quelle institution islamique enseignerait le vrai islam qui n’a rien à voir avec l’islamisme ?

Allons-voir du côté du Conseil Européen des Ouléma Marocains (CEOM) rassemblant l’élite des religieux du Maroc en Europe. Un de ses membres Amine Nejdi, imâm à Nancy-Tomblaine et président du Conseil régional du culte musulman de Lorraine a sur le papier toutes les garanties d’être un musulman qui n’aurait rien à voir avec l’islamisme. Il a fondé le site internet Al-Wassat où il diffuse les prêches de la mosquée ainsi que des articles de fond sur la loi islamique. L’imâm marocain se présente comme son « rédacteur en chef[2] ». Dans article intitulé La sanction en islam[3] il expose le plus tranquillement du monde la supériorité des lois islamiques sur les lois démocratiques, et se présente comme une attaque frontale envers les républiques laïques, allant jusqu’à justifier des sanctions contre les apostats qui quitteraient l’islam :

« Dans la législation islamique, la sanction peut être définie comme suit : « La sanction est une punition infligée à l’être humain pour un acte qui va à l’encontre de la législation[4]. (…)

« al-hadd » : cette catégorie inclut des formes de punitions immuables prescrites par Le Législateur (Dieu), tirées du Coran et de la sunna. Ces châtiments appartiennent à Dieu. Ils ont pour but de préserver l’intérêt public et ils ne peuvent en aucun cas être allégés, alourdis ou délaissés. Parmi ces délits se trouvent :


– la rébellion ;
– le fait de boire de l’alcool ;
– le vol à main armée ;
– le vol ou brigandage ;
– les relations sexuelles illicites ;
– l’apostasie ;
– les accusations diffamatoires de promiscuité.

(…) La législation islamique a pour but d’instaurer une société idéale où règne la justice et la promotion de la vertu. Des limites claires marquent la frontière entre le licite et l’illicite, et des peines sévères sanctionnent les transgressions. »

Dans une de ses conférences filmées sur L’histoire de la jurisprudence islamique il ne dit pas autre chose. :

 « (…)La Sunna peut parfois ajouter ce que le Coran n’a pas précisé, c’est comme par exemple le fait de lapider une femme ou un homme qui a commis l’adultère, normalement dans le Coran ce qui était signalé était la fornication. C’est le fait de flageller ceux qui ont commis la fornication de cent coups de flagelle, mais il [le Coran] n’a pas parlé de tuer ceux qui ont commis l’adultère, c’est la Sunna qui est venue en parler, c’est le Prophète qui en a parlé. Donc Sa Parole vient compléter ce que le Coran n’a pas abordé. Le fait de nier la Sunna est un acte pur de mécréance. » (Compte Youtube Al Wassat-Le Juste milieu, Histoire de la jurisprudence islamique – L’époque des compagnons (Pt.2) – Dr Amine NEJDI, mise en ligne du 13 mai 2013. )

Dans cette même conférence il présente licite le fait de tuer les prisonniers de guerre et encadre le déclenchement du jihâd au bon vouloir du chef de gouvernement. Le président du Conseil Français du Culte Musulman de l’époque, Anouar Kbibech, était venu en ami à la mosquée de Tomblaine faisant partie de la même organisation marocaine que Nejdi (Rassemblement des Musulmans de France). Donc même le CFCM n’est pas du tout exempt d’être islamiste au sens de Sifaoui.

Yadh Ben Achour, spécialiste des idées politiques en islam, enseigne à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman ainsi qu’à l’Université de Tunis. Il parait important de citer son ouvrage La deuxième Fâtiha, l’islam et la pensée des droits de l’homme paru aux Presses Universitaires de France en 2011

: « L’erreur serait de supposer que ce salafiste est un pauvre égaré dans l’histoire de l’islam. Cessons de croire à la théorie de l’aberration qui veut que le salafiste ne représente pas l’islam ou que c’est l’enfant maudit de la famille. Il faut rappeler que ce dernier ne manque ni de cohérence, ni de force de conviction et de persuasion. Derrière lui, pour le soutenir, se profilent les armées du savoir religieux, avec des chefs remarquables : les ‘Ash’arî, Shâf’i, ‘ibn Hanbal, Bâqillânî, Ghazâlî , ‘ibn ‘Asâkir,Subkî, Fakh a-dine a-Râzi , ‘ibn Taimiyya. Derrière lui, une tradition triomphant à travers les siècles de tous les adversaires, hérétiques, libres penseurs, poètes maudits, philosophes. Devant lui, sous sa bannière, sur tout l’espace de la planète, des peuples entiers se mobilisent pour la défense et l’intégrité de leur religion. Des Etats et des gouvernements se mobilisent pour le servir. La sainte alliance n’a jamais disposé d’autant de force. »

Joachim Véliocas, Observatoire de l’islamisation, 16 octobre 2019.